Au cinéma : Les nouveaux chiens de garde

En 1997 Serge Halimi publiait « Les nouveaux chiens de garde ». Immense succès qui révélait que les grands médias étaient les nouveaux zélateurs de la pensée unique du capitalisme dominant.

Quinze ans plus tard les réalisateurs Gilles Balbastre et Yannick Kergouat portent à l’écran avec force et humour le jeu médiatique fait d’informations prémâchées, d’intervenants permanents qui débattent, et se complaisent à débattre, dans un périmètre idéologique minuscule excluant ceux qui ne jouent pas leur jeu : syndicalistes, classes populaires ou jeunes qui se révoltent.

Les deux réalisateurs répondent aux questions de Stéphane Rio pour la FSU 

Le film sort en salle le 11 Janvier

Voici la liste des salles où le film est projeté dans notre région 

  • MARSEILLE - LES VARIETES : Projection-Rencontre le lundi 16 janvier avec ATTAC- Amis du Monde Diplomatique en présencedeMarcPantanella
  • MARSEILLE - LE CHAMBORD

en salle le 18 janvier

  • ARLES - LE CINEMA FEMINA

en salle le 25 janvier

  • AVIGNON - UTOPIA : Projection-Rencontre le vendredi 27 janvier à 20h30 en présence de Mathias Reymond (ACRIMED)
  • AIX-EN-PROVENCE - LE JEAN RENOIR : Projection-Rencontre le mardi 31 janvier en présence de Gilles Balbastre
  • AIX-EN-PROVENCE - LE MAZARIN
  • CHATEAUX ARNOUX - LE CINEMATOGRAPHE
  • SOMMIERES - LE CINEMA VENISE

en salle le 1er février

  • MARTIGUES - LE JEAN RENOIR : Projection-Rencontre le mercredi 1er février en présence de Gilles Balbastre
  • MARIGNANE - LE ST EXUPERY : Projection-Rencontre le jeudi 2 février en présence de Gilles Balbastre
  • APT - LE CINEMA CESAR
    en salle le 8 février
  • LA PENNE SUR HUVEAUNE - LE CINEMA DU SOLEIL
  • FORCALQUIER - LE BOURGET

en salle le 15 février

  • MANOSQUE - LE LIDO

l'interview

FSU : Serge Halimi a publié Les Nouveaux chiens de garde en 1997, au sortir des grèves de décembre 1995. Le poids des « prescripteurs d’opinions » a-t-il évolué depuis ?

Yannick Kergoat et Gilles Balbastre : 

Pas suffisamment pour qu’on renonce à se battre sur ces questions. Ce qui a changé depuis 1995, c’est la crise de la presse, qui se traduit notamment par des réductions d’effectifs dans de nombreux journaux. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de la critique, au contraire. Régulièrement, il faut réarmer le fusil et tirer un nouveau coup de semonce. Entre la première publication des Nouveaux chiens de garde, l’édition complétée de 2005 et le film qui sort aujourd’hui, un vaste travail critique a été mené par des associations comme Acrimed ou des journaux comme Le Plan B. Cette filiation du combat politique sur la question des médias ne s’est jamais interrompue. D’autant que le phénomène médiatique est profondément lié à la politique en général et aux modèles de société dans lesquels on baigne. On ne changera les médias qu’enchangeant la société, mais, pour changer la société, il faut aussi se libérer de l’emprise des médias. Parmi les journalistes et experts que nous avons ciblés il y a quinze ans, certains ont disparu, remplacés aussitôt par leurs équivalents plus jeunes, mais la plupart sévissent toujours. Les Giesbert, Durand, Ockrent, Attali ou Joffrin sont toujours là. Surtout, l’espace qu’ils occupent s’est élargi avec l’apparition des nouvelles chaînes de la TNT. Les crises -celle de 2008 et celle qui enfle aujourd’hui -n’ont pas abrégé leur mandat à vie. Les éditorialistes et les experts qui prônaient la dérégulation et martelaient la nécessité de la « réforme » ont contribué à entraîner le système dans le mur. Or, non seulement ils n’ont pas été éliminés pour faute grave, mais ils sont encore plus présents. Ils ont eu davantage encore de temps d’antenne pour commenter les crises d’un système dont ils ont tant fait la promotion. 

FSU : Le film est construit sur un travail d’archives impressionnant. Quelles ont été vos méthodes de travail ?

YK et GM : 

Le documentaire Les Nouveaux chiens de garde est avant tout le résultat du travail d’un collectif regroupé autour de la critique radicale des médias. Ce collectif s’est constitué au milieu des années 90 après le mouvement de protestation contre la réforme Juppé en réponse à la couverture orientée et partiale de ce mouvement par une grande partie de la presse. Ce collectif, regroupé autour d’intellectuels comme Pierre Bourdieu, Serge Halimi, Alain Accardo, Henri Maler, d’associations comme Acrimed, de journaux comme PLPL, Le Plan B, Fakir, Le Monde Diplomatique, a analysé, observé, disséqué au quotidien les journaux d’informations écrits, télévisés, radios et constitué ainsi des masses considérables d’archives. Une des séquences du film, où l’on voit « s’opposer » dans un de ces débats consensuels dont raffolent les médias Luc Ferry à Jacques Julliard, est par exemple le fruit d’un travail réalisé par deux jeunes capésiens d’histoire et de lettres, par ailleurs militants du SNES, rédacteurs bénévoles du journal le Plan B. Yannick et moi, outre une recherche complémentaire réalisée à l’Inathèque, avons picoré dans cette matière première riche et inépuisable.

FSU  :
Les syndicats ont très peu la parole dans les médias et le plus souvent leurs propos sont réduits à la portion congrue. Comment le mouvement syndical peut-il se saisir de la question médiatique pour que ses analyses comptent ?

YK et GB : 

La précédente réponse… répond en partie à cette question. D’un mouvement fort de contestation, celui de 1995, où les syndicats, notamment la CGT et la FSU, ont joué pleinement leur rôle, est né cette critique radicale des médias. Des militants syndicalistes ont rejoint ce mouvement parce qu’ils ont compris et analysé le rôle essentiel joué par une très grande partie de la presse dans l’organisation inégalitaire de la société actuelle. Et il existe trop encore une sorte d’acceptation par une grande partie du mouvement syndical de l’espace médiatique tel qu’il est, comme si cet espace médiatique était en quelque sorte naturalisé. Il va donc falloir en premier que les syndicalistes apprennent à s’opposer à l’ordre médiatique actuel, à comprendre fondamentalement qu’il est au service du pouvoir économique en place et qu’à ce titre les éditorialistes, les présentateurs vedettes, les intervieweurs à la mode, les rédacteurs en chef ne sont que les chiens de garde de ce système et qu’ils ne peuvent pas espérer d’eux la moindre mansuétude. Il faut repolitiser la question des médias et en faire un objet de lutte et de changement.

FSU :
L’épilogue du film appelle à un nouveau projet politique pour assurer la liberté et le pluralisme de la presse. Quelles seraient les principales mesures à prendre ?

YK et GB : 

A la libération, les résistants du CNR ont imaginé un nouveau statut de la presse suite aux dérives d’avant et d’après guerre et qui allait même jusqu’à la sortie de l’information de toute espace marchand : un service public au même titre que celui de l’éducation ou de la santé. Ce ne fut hélas pas ce qui s’est passé exactement, mais des ordonnances ont tout de même été mises en place le 26 août 1944 : un propriétaire ne pouvait pas posséder plus d’un titre, des aides importantes étaient données à la presse d’opinion et à la distribution des titres. On pourrait très bien remettre en partie à jour ces ordonnances. Limiter à nouveau la concentration et éliminer de fait les Lagardère, les Bouygues, les Dassault du monde de la presse, remettre dans le service public TF1, fixer un cadre d’autonomie pour les journalistes en ne les soumettant plus à l’arbitraire de leur seul patron. On pourrait prendre pour exemple le fameux statut des enseignants de 1951 qui donne à cette profession une certaine indépendance professionnelle et qui est d’ailleurs remis en question aujourd’hui par le gouvernement en place.