25 septembre 2020

Nos enseignements

Peut-on transformer les rapports filles-garçons par la pratique sportive ?

Peut-on transformer les rapports filles-garçons par la pratique sportive ?

Le cours d’EPS et la pratique sportive en général sont le lieu où s’exacerbent les enjeux des rapports entre filles et garçon. La pratique de l’EPS peut-elle permettre de résorber les inégalités de genre ?
Sophie Rieu, professeure d’EPS au collège Louis Philibert au Puy Sainte Réparade et secrétaire académique du SNEP-FSU répond à nos questions :

  • Garçons et filles peuvent-il pratiquer le sport ensemble ?
    La mixité en EPS s’est installée petit à petit dans les années 70-80. Pour autant, ce n’est pas parce que les élèves étaient dans un même lieu, qu’ils partageaient les mêmes activités, les mêmes objectifs, les mêmes valeurs ; en 40 ans, la mixité s’est installée et aujourd’hui les enseignants ont à cœur de proposer une palette d’APSA (activités physiques sportives et artistiques) allant du rugby à la danse en passant par le cirque ou la boxe française. Mais cela ne suffit pas pour répondre à l’enjeu d’émancipation que joue l’EPS à l’école. La mixité, le vivre ensemble, apprendre ensemble pour partager une culture commune font partie des réponses à la question de l’égalité. La lutte pour l’égalité homme/femme ne peut être séparée des luttes sociales. L’Ecole et tout particulièrement l’EPS à l’Ecole s’est emparée de cette question d’émancipation : c’est par un accès à une culture commune partagée, au travers d’une didactisation réfléchie des APSA tout en luttant contre des stéréotypes encore très présents dans le milieu du sport que nous pourrons y arriver. C’est dans la complexité des APSA et donc sa richesse que nous trouverons les solutions de la pratique commune.
  • Compétition, performance, force physique, dépassement de soi,… Le vocabulaire attaché au sport renvoie à des appétences que l’on prête avant tout aux garçons ? Le sport est-il d’abord un « truc » de garçon ?
    En EPS, le modèle corporel et culturel masculin domine même si l’entrée de nouvelles activités moins empreintes de compétitivité permet de compenser cet aspect. Le poids de la représentation télévisuelle, sociale et culturelle participe à une vision très masculine du sport, basée sur la performance, la compétition. Le sport à l’école au travers de l’EPS et du sport scolaire a un rôle prépondérant à jouer pour lutter contre ces représentations même si la performance peut faire partie des caractéristiques du sport.
    Pourtant nous constatons plus de dispenses chez les filles, ce qui renvoie à un manque d’appétence mais qui s’explique par des représentations ancrées contre lesquelles il est difficile de lutter. La part des émotions (pourtant déterminantes dans la pratique sportive) est peu mise en valeur, la notion de maîtrise moins valorisée que la notion de compétition, et l’estime de soi si peu encouragée chez les filles. Nous assistons souvent à une dévalorisation de principe chez nos élèves filles contre laquelle il faut lutter ; souvent c’est par un manque d’exigence sur le plan moteur, un manque de vécu depuis la petite enfance ,que nous tous avons participé à créer ces conditions de dévalorisation. La différence de plus d’1 point au notes du bac en EPS fait partie des constats qui perdurent depuis des années.
    Le sport n’est pas l’apanage des garçons, il faut encourager la pratique féminine en tenant compte des différences physiques et culturelles pour permettre au filles de s ’émanciper et réussir. Et c’est au travers de l’EPS et du sport scolaire que nous pourrons lutter contre ces inégalités.
  • Programme-t-on les mêmes cycles d’EPS avec des classes composées majoritairement de filles ou majoritairement de garçons ?
    Assigner les filles à pratiquer des activités féminines les enferment dans les stéréotypes et préjugés sur les filles et ne pas permettre aux garçons d’accéder à une culture plus féminine serait aussi participer à ancrer des inégalités et des représentation sexuées du sport et de l’EPS. La programmation des APSA est déterminante afin de permettre à chacun d’accéder à cette culture commune essentielle pour l’émancipation de chacun. Leur didactisation, le choix des contenus proposés, le choix des regroupements, des évaluations ...permettront à tous d’accéder à des ressources, des savoirs faire et savoirs être sans baisser les exigences pour tous et toutes.
  • Comment pensez-vous votre pratique enseignante de façon à lutter contre ces inégalités de genre ?
    La lutte contre ces inégalités doit être une question centrale dans la pratique enseignante. Comment permettre à tous d’accéder à une culture commune , comment permettre à tous de s’émanciper, de construire un esprit critique ; ces questionnements doivent être au centre ne nos préoccupations d’enseignants.
    Dans tous les domaines, l’histoire des femmes a été une lutte pour l’égalité et tout particulièrement dans le sport. Dans les milieux populaires, les filles subissent la double peine d’inégalité de sexe et d’inégalité sociale.
    L’école de la République doit participer à lutter contre ces inégalités et la pratique enseignante par ses choix et mises en œuvre est déterminante. En EPS, nous devons déjà lutter contre nos propres représentations basées souvent sur un vécu de compétiteur. Proposer des formes de pratiques différentes, des modalités de regroupement adaptées, des contenus exigeants pour tous et toutes mais pas stigmatisants, lutter contre les stéréotypes clivant ne serait-ce par le choix du langage utilisé, doit être au cœur de nos pratiques .
    La comparaison des performances des filles et garçons au travers de test communs, en course par exemple, participent à persuader les filles de leur médiocrité physique. Pourquoi demander aux garçons de porter des poteaux de Volley et les filles les filets ?
    Toutes ces pratiques enseignantes et les choix qui en découlent doivent être réfléchis pour éviter que l’EPS ne fabrique des inégalités mais soit au cœur de la construction de l’identité de chaque élève en pleine période d’adolescence.
    L’enjeu de l’égalité, de l’émancipation est primordial, pourtant la place de l’EPS paraît minimisée du moins dans ses évaluations (BAC-DNB)
    Propos recueillis par Marion Chopinet