Avant chaque élection politique, il se trouve au moins un chef d’établissement suffisamment ignorant de ce qu’est la fonction publique français depuis 1982 pour croire que le rappel du devoir de neutralité que le Préfet envoie aux fonctionnaires d’autorité (Préfets, Recteurs, inspecteurs d’académie ...) s’applique à tous les fonctionnaires, enseignants compris !
Le fonctionnaire est d’abord un citoyen et sa liberté d’expression, de participation aux campagnes ou aux scrutins politiques est bien entendu garantie.
Si des affaires récentes ont mis cette question sur le devant de la scène, c’est d’abord les pressions et intimidations dont certains représentants du SNES
font l’objet qui justifient cette mise au point.
Le devoir de réserve a été supprimé du statut général de la fonction publique en 1983 pour rompre avec la conception du fonctionnaire soumis et inféodé au pouvoir, et faire au contraire prévaloir une conception démocratique de la fonction publique. Avec le statut de 1983, le fonctionnaire civil devient un citoyen à part entière, il en a tous les droits, en particulier le droit d’expression,
sauf à proférer des propos diffamatoires ou calomnieux. Il n’est pas réduit au silence, a fortiori lorsqu’il s’exprime dans le cadre syndical. Nous nous inscrivons
résolument dans cette conception progressiste de la fonction publique, à rebours des conceptions réactionnaires aujourd’hui en vogue du côté du pouvoir
politique.
Pour autant, un « devoir de discrétion professionnelle » est régulièrement rappelé par la justice administrative. Le fonctionnaire n’a pas à faire état publiquement d’informations personnelles qu’il a pu avoir dans le cadre de ses fonctions : situation sociale, familiale, médicale… de tel ou tel élève, parent ou collègue. De même, un représentant du personnel ne peut faire état publiquement d’informations personnelles acquises dans le cadre de son mandat. Mais devoir de discrétion ne veut pas dire secret professionnel, tel qu’il est codifié dans les professions dotées d’un ordre professionnel : avocats, médecins…
Dans le cadre de ses missions, le fonctionnaire ne peut contrevenir au devoir de neutralité et de laïcité : on comprend aisément que M. X, professeur, n’ait pas à
faire état de ses opinions politiques ou religieuses en classe ou en réunion parents-professeurs. Mais le même M. X étant aussi citoyen, il reste libre d’exprimer ses opinions, de militer dans le domaine politique, syndical, associatif… En outre, son activité syndicale ne peut être entravée et sa parole est libre, dans la presse ou en réunion syndicale, conseil d’administration, rencontres syndicales avec les fédérations de parents, les élus, la
presse...
Le « devoir de réserve » ne peut être invoqué pour réduire au silence un représentant syndical encombrant. Faut-il rappeler que le temps où les droits syndicaux étaient refusés aux fonctionnaires est révolu ?
Enfin, si l’on comprend qu’un Recteur ou un Préfet, nommé en Conseil des Ministres, ait un « devoir de loyauté » envers le pouvoir, rien ne justifie l’invocation d’un tel devoir concernant les personnels qui n’ont pas de devoir d’allégeance. En tant que fonctionnaires, c’est l’intérêt général, et lui seul, qui détermine à coup sûr où doivent se porter notre loyauté et notre dévouement.
Laurent Tramoni