Notre ministre et notre recteur ne manqueront sans doute pas de se féliciter des parfaites conditions dans lesquelles les stagiaires effectuent leur rentrée scolaire et leur année de stage. Il apparaît donc important de rectifier cette appréciation au vu des témoignages des stagiaires eux-mêmes, qui sont parvenus au SNES dans le cadre de la « semaine d’expression des stagiaires » lancée au niveau national et qui a donné lieu à une conférence de presse mercredi 5 Octobre.
Une charge de travail écrasante
Les stagiaires travaillent désormais à temps plein et préparer 18 heures de cours pour la première fois représente une charge de travail qu’aucun enseignant n’ignore mais qui est difficile à imaginer pour qui n’a pas pratiqué ce métier. De plus, alors que tous les enseignants qui souhaitent se former sont déchargés de cours, les stagiaires eux, doivent suivre cette formation en plus de leur temps plein, lors de la journée du jeudi laissée libre dans leur emploi du temps. Ce sont donc les enseignants les moins expérimentés qui se retrouvent avec la plus lourde charge de travail. « Je trouve ça injuste de devoir suivre des formations non-rémunérées qui deviennent en plus des heures supplémentaires. Ça ne me parait pas très légal. » Affirme une stagiaire d’anglais. Par ailleurs, ce stagiaire de technologie dénonce cette surcharge de travail : « Entre le temps plein, 3 niveaux, associé à la mise en place des nouveaux programmes 4e et 3e, et à cette fameuse journée du jeudi qui se situe entre 1h45 et 2h de chez moi, [c’est] énorme ! Je suis épuisé, limite dépassé.[…] C’est épuisant. Certains qui débutent ont craqué à la première [réunion], pleurs, dépassés. » Ou encore cette stagiaire de SVT, pourtant ex-contractuelle et maîtrisant déjà certains aspects de la profession : « le rythme de ce début d’année est assez difficile a tenir entre les cours, les préparations, les formations […] Pourtant après avoir été professeur contractuelle un an, je pensais pouvoir gérer cette pression mais je dois bien admettre que là, je commence à craquer : la pression des inspecteurs, des tuteurs, l’envie de faire des cours corrects pour les élèves et les préparer au mieux a l’épreuve de SVT du bac, le rythme des cours et préparations soutenues (2 niveaux dont un nouveau programme de 1 ère es et l)… » Cette pression permanente et l’impossibilité pour eux de travailler dans de bonnes conditions engendrent un fort mécontentement : « Je travaille dans la frustration cette année et ma conscience professionnelle en prend un coup. J’aime .peaufiner mes cours, adapter à un public hétérogène, faire de la pédagogie différenciée, prendre le temps de parler avec des élèves pour les rassurer, les encourager, ou les reprendre, bref faire mon métier dans de bonnes conditions. Ce n’est pas possible cette année. Je suis fatiguée, travaille en état d’urgence et ne pense qu’à essayer de tenir jusqu’à la titularisation. »
Les difficultés liées à l’installation et à l’affectation
A cette charge de travail très lourde s’ajoute parfois les difficultés d’installation dans une nouvelle académie (les stagiaires n’ont appris que le 25 août le nom de leur établissement d’exercice) ou les contraintes liées à la distance entre lieux de travail et de formation et domicile.
« J’ai décidé de braver les danger de la route et d’éviter les radars et de faire 800km par semaine ou 900 quand il y a un jeudi de formation. Je fais donc un plein temps de professeur certifié, entre 8 et 10 heures de route par semaine selon les conditions, cela me coûte plus de 400 euros en essence et péage (je ne compte même pas l’usure de la voiture), et en plus je dois aller en formation.... ». témoigne une stagiaire d’anglais.
Et ce stagiaire arrivant d’une autre académie : « le rythme de ce début d’année est difficile a tenir entre les cours, les préparations, les formations : il nous reste peu de temps pour nous installer dans une nouvelle académie et un nouvel appart (difficile d’arriver à trouver un logement en moins d’une semaine et de faire ouvrir un compteur électrique, une ligne téléphonique, l’Internet etc.) ».
La formation
Tous les stagiaires s’en plaignent !
Soit parce qu’elle arrive trop tard : « il est assez incohérent de recevoir des formations deux semaines après avoir commencé à plein temps. Les pauvres élèves ! » Déclare une stagiaire d’anglais, ou encore cet autre stagiaire de SVT : « Nous avons donc débuté la rentrée face aux élèves sans aucun cours d’avance ni même de programmation. Nous n’avons d’ailleurs appris à faire une programmation que 3 semaines plus tard, lors de la 1 ère formation disciplinaire ».
Soit parce qu’elle s’ajoute au temps de travail et que les stagiaires ont l’impression que l’urgence, c’est plutôt la préparation des cours : certains stagiaires joints par téléphone en sont même à demander la suppression de la formation, non parce qu’elle serait inutile mais parce que, comme elle s’ajoute à leur temps plein, ils ont l’impression d’avoir d’autres choses urgentes à faire, les cours, les corrections de copies, etc.
Soit enfin parce qu’elle leur paraît inadaptée ! En effet, tous les stagiaires, quel que soit leur parcours antérieur à leur réussite au concours ont droit à la même formation. Aussi, les ex-contractuels ont-ils souvent une impression de redite qui leur semble superflue : « pour un contractuel, j’entends à l’identique de ce que j’entends dans les formations depuis 10 ans, rappels, confirmations. Il faudrait une formation à deux vitesses, car le temps paraît long […]. » De plus, il y a parfois inadéquation entre le niveau scolaire du stage et celui dispensé lors de la formation : « Je suis en collège et pour le moment nous faisons plutôt des séquences de lycée. J’aurais aimé travailler sur mes manuels et avoir l’œil critique de la formatrice pour savoir si je travaille dans le bon sens. Le dernier jeudi de septembre nous avons fait une formation sur la gestion de la classe : chacun a raconté comment il faisait entrer ses élèves, etc. Très peu de petites recettes ont été données... trop tard car à mon sens tout se joue dans les premiers jours de la rentrée scolaire. C’était sympathique mais obsolète. ».
Enfin, les avis sont très nuancés concernant la semaine de prérentrée : si certains reconnaissent qu’elle a pu être utile, « correcte pour un débutant » d’autres critiquent l’absence d’outils pour préparer la rentrée : « la pré rentrée se résumait à écouter parler les inspecteurs sur l’évaluation par compétence sans exemples pratiques et surtout avant même que d’avoir appris comment faire une séquence de cours. » Enfin, le coût, non remboursé de cette prérentrée « facultative » mais en même temps encadrée par tous les corps hiérarchiques des enseignants (rectorat et inspection académique) a rajouté à la pression des stagiaires : « Les frais de déplacements non remboursés, j’en ai pour environ 180€ étant donné la distance, pour peu au bout. On nous a fait émarger chaque jour... et quand j’ai demandé comment faire pour le remboursement on m’a répondu que c’était une invitation... troublant ! »
L’ensemble de ces témoignages reflète assez bien l’état d’esprit dans lequel se trouvent les stagiaires ! Si certain trouvent du soutien auprès de leur tuteur ou de l’équipe pédagogique de leur établissement, beaucoup ont l’impression d’être profondément isolés et noyés sous la charge de travail. Certain avouent même à demi mot leur envie de tout laisser tomber alors que parfois, ils ont mis plusieurs années avant de réussir leur concours ! Telle est la réalité vécue par les enseignants stagiaires du second degré, 10 mois après les déclarations de Nicolas Sarkozy qui affirmait en janvier 2011 à propos de la formation des enseignants : « « Il y a toute la question de la formation pratique, je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’améliorer en permanence notre système ». Enième effet d’annonce, manifestement.