Est-il si aberrant de dire qu’un élève de Seconde dont les acquis sont trop faibles ne peut pas entrer dans les apprentissages du cycle terminal, ni même trouver du sens aux enseignements qu’il va suivre ? Est-il si absurde d’affirmer que face aux inégalités de ressources des familles, face au déterminisme social massif qui s’exprime dans l’orientation, c’est à l’institution elle-même, aux professionnels que sont les enseignants et les CO-Psy d’éclairer et de guider fortement les individus dans leurs choix ?
Après le décret n°2014‐1377 du 18 novembre 2014 qui institue le « maintien » (nouveau nom du redoublement) comme exceptionnel pour tous les élèves, et qui le limite à une demande de la famille, les textes d’application précisent petit à petit la mise en œuvre de ce qui s’apparente à une gigantesque entreprise de mensonge aux usagers de l’école, familles et élèves.
Le BA sur les « parcours d’orientation » précise la situation que nous découvrons, tout comme les chefs d’établissement d’ailleurs, dans nos établissements.
De quoi s’agit-il ?
Pour ce qui est du passage de Troisième à Seconde, notre académie expérimente le « choix donné aux familles », tout un programme : si la décision définitive n’est pas conforme à la volonté de la famille, suit un entretien avec le chef d’établissement et avec un CO-Psy. Au bout de 5 jours, si la famille n’a pas changé d’avis (!) l’orientation prononcée est celle de la famille.
Pour le passage de Seconde en Première, le conseil de classe ne peut que proposer une « orientation », et non une « ré-orientation » dans la voie professionnelle.
En clair, pour un élève en Seconde Générale et Technologique, une Première en Lycée professionnel n’est pas une « orientation » et ne peut donc pas être proposée. C’était déjà le cas dans le Code de l’éducation, mais le texte n’était pas appliqué. Le manque de place en Lycée Professionnel conduisait cependant des élèves réorientés par le conseil de classe à revenir dans les LGT, faute d’affectation.
Le redoublement ne serait pas une proposition possible non plus. Il n’intervient qu’à la demande écrite de la famille, en cas de désaccord à l’issue du conseil de classe et d’un dialogue avec le chef d’établissement, ou en cas de décision défavorable de la commission d’appel. Le conseil de classe ne serait plus en mesure d’indiquer que le redoublement lui semble le choix le plus propice à la réussite future de l’élève.
Par exemple un élève auquel le conseil de classe propose une Première L et qui demande une Première S. Si la commission d’appel maintient le refus du passage en Première S, la famille peut demander et obtenir le redoublement.
De même un élève auquel le conseil de classe propose une première STI2D et qui veut une Première de la voie générale.
Ou encore un élève qui ne se verrait proposer en fin de Seconde qu’une Première qui n’accueille qu’un très petit nombre d’élèves (STD2A par exemple) et pour lequel il n’aurait pas de place, ou une Première dans une série présente dans un établissement trop éloigné.
Dans l’hypothèse d’un redoublement le texte prévoit que l’élève a droit à des mesures d’accompagnement, pour lesquelles les établissements n’ont reçu aucun moyen mais qu’ils devront mettre en œuvre conformément à la réglementation.
Pour le passage en Terminale, comme d’ailleurs sur le passage en 6è, 5è et 4è, le BA stipule qu’il est « la règle ». Le recours n’existe que dans le cas où le redoublement est refusé à la famille par le chef d’établissement.
Quelles seront les conséquences de cette gigantesque mascarade improvisée ?
A nouveau ce sont les familles les moins initiées, les plus éloignées des logiques de sélection scolaire, qui pâtiront le plus de cette illusion. Ce sont aussi les enseignants qui verront encore leurs conditions de travail se dégrader, voire leur métier devenir de plus en plus impossible.
Les effectifs de Seconde vont augmenter, et les classes accueillir davantage d’élèves en difficulté et rien n’a été prévu en termes de DGH !
Les élèves qui vont redoubler ont droit à un accompagnement et rien n’existe dans les lycées !
L’orientation par défaut sera de fait plus forte encore, les familles préférant souvent n’importe quelle Première au redoublement !
La hiérarchie entre les séries et les voies en sortira encore renforcée ! Les séries technologiques risquent d’être fortement impactées, sollicitées pour accueillir davantage encore d’élèves en grande difficulté, obérant les chances de réussite des autres élèves, et accentuant encore l’évitement de ces séries et l’hégémonie de la voie générale !
En l’absence de véritable accompagnement, comment pense-t-on faire réussir le baccalauréat à ces élèves ? Comment envisager leur poursuite d’étude, alors même que les quotas de Bac pro en BTS augmentent et que la voie technologique aurait désormais vocation à alimenter les DUT ?
Quelle réaction syndicale et professionnelle ?
Le SNES Aix-Marseille est intervenu fortement en CTA le 6 juin 2016 pour dénoncer cette nouvelle « tricherie » du système éducatif, qui se moque des acquis des élèves et de leur réussite.
Il invite les collègues à se réunir pour déterminer ensemble les stratégies les mieux adaptées pour éviter que ces nouvelles mesures déstabilisent les établissements. Il invite les collègues à protester vivement par des courriers au Recteur et des adresses aux parents visant à leur expliquer les enjeux et à défendre leur expertise et leur professionnalité.
Lors des conseils de classe, il invite les collègues à tenir bon sur leur décision, au besoin par une appréciation littérale sur la fiche navette. La responsabilité de la décision finale relève du chef d’établissement.
Non, le redoublement n’est pas une panacée, et oui tous les élèves peuvent réussir et aller au-delà de leurs possibilités, mais pour cela il faut nous donner les moyens de leur faire acquérir les connaissances et les démarches nécessaires à leur réussite dans de bonnes conditions. Rendre le redoublement inutile, mettre chaque élève en capacité de réussir dans la voie choisie ? Le SNES dit « chiche » ! Mais que le Ministère nous en donne les moyens !
Caroline Chevé