L’Humanité, 19 décembre 2019
JM Harribey : La réforme Macron est « aux antipodes de l’universalité, de l’équité et de la responsabilité ».
JM Harribey (Économiste, membre d’Attac et de la Fondation Copernic)
Après les annonces du premier ministre, la chose est entendue : la réforme des retraites ne sera ni universelle, ni juste, ni responsable. Elle ne sera donc pas sociale et elle ne s’inscrira pas non plus dans une vision écologique de l’avenir. Un système par points organise une contributivité stricte, c’est-à-dire une liaison étroite entre cotisations et pensions. Les périodes de chômage et de précarité donneront lieu à très peu de cotisations dont découleront des pensions faibles. La valeur du point servi sera la variable d’ajustement à la baisse et la masse des pensions rapportée à la richesse produite, qui sera stable, sera à partager entre un nombre de retraités plus nombreux. Et un euro de cotisation ne peut pas donner le même droit à tous à cause des inégalités d’espérance de vie, dues surtout à la pénibilité des travaux.
L’argument selon lequel la réforme avantagerait les « carrières plates » est fallacieux : les « carrières ascendantes » auront une pension plus faible que celles que la prise en compte des 25 meilleures années aurait permise. Mais cela n’aura aucun effet sur les pensions correspondant aux carrières plates. L’entourloupe consiste à appeler progrès le recul des uns pendant que les autres font au mieux du surplace.
La promesse du minimum de pension à 85 % du Smic, présentée comme une nouveauté, est déjà inscrite dans la loi de 2003 et n’a jamais été honorée. Et elle ne concernera que ceux qui auront une carrière complète au Smic. Tant pis pour 22 % des agriculteurs qui sont loin du Smic et vivent en dessous du seuil de pauvreté. Tant pis pour les femmes, grandes perdantes d’un système à points. Et nul n’envisage sérieusement que, tout d’un coup, le gouvernement trouvera 10 milliards par an pour augmenter les enseignants et tous les fonctionnaires qui ont peu de primes.
Cerise sur le gâteau des classes dominantes : au-delà de 10 000 euros par mois, ne subsistera qu’un taux de cotisation de 2,81 %, dit de solidarité, ouvrant en grand la porte à la capitalisation via l’épargne retraite promue par la loi Pacte.
En créant un âge pivot à 64 ans, appelé à augmenter inexorablement, le gouvernement et le patronat entendent faire travailler tout le monde plus longtemps, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre solution. Ils refusent donc toute hausse des cotisations dont le Conseil d’orientation des retraites (COR) a pourtant montré qu’elle serait faible (0,2 point par an) pour suivre l’évolution démographique. Et ils excluent par principe de modifier le partage entre travail et capital dont le néolibéralisme a fixé, depuis quarante ans, un seuil favorable à ce dernier.
Mais ce qui n’est pas assez souligné, c’est que, en allongeant la durée du travail, on laisse de côté 6 millions de chômeurs et on perpétue une économie capitaliste productiviste qui ne conçoit le progrès qu’en termes de surconsommation et de gaspillage. Ainsi, la réforme nie la solidarité intergénérationnelle tant sur le plan social que sur le plan écologique.
La mobilisation sociale atteste que la population comprend que le président Macron est un illusionniste : si sa réforme est aussi vertueuse qu’il le prétend, pourquoi en exclut-il de son « bénéfice » la génération née avant 1975 ? Sans doute préfère-t-il opposer les générations entre elles, maintenant et dans le futur. Il a remplacé la « clause du grand-père » par la « clause du père ». Sa réforme est aux antipodes de l’universalité, de l’équité et de la responsabilité.